Blitz et le temps éclair d’une oeuvre

La vie d’une oeuvre ne commence pas à la lecture de celle-ci. Elle commence bien avant dans des discussions, des recommandations, des visites en librairies ; sur des publicités ou des sites louches comme celui où vous lisez ces lignes. On fait facilement le constat de cette existence quand on a des attentes et des à priori sur une oeuvre avant même de l’avoir vu. Pensez à comment l’effervescence autour d’une oeuvre comme Star Wars ou Animal Crossing peut jouer sur votre jugement. A l’inverse comment la surprise et la joie à la découverte d’un titre rendent magique cette rencontre. 

Si l’appréciation donc d’une oeuvre peut dépendre du lecteur et de son parcours personnel, il arrive que l’oeuvre elle-même bouscule vos habitudes. Que l’on ait été mis au courant de son existence ou non, Blitz s’impose comme un manga différent.  Est-ce alors une bonne chose ? N’est-ce pas de la… triche vis-à-vis des oeuvres qui s’inscrivent dans un parcours plus classique ? Ce qui devient alors important de se demander c’est de savoir ce qui détermine cette appréciation, d’en délimiter les contours et de voir comment l’oeuvre en question joue sur celle-ci.  Du coup faisons-ça, parlons de Blitz. 

Vol.1 Blitz - Manga - Manga news

“Je n’ai pas encore remporté la victoire”

L’objet se présente sous la forme d’un manga assez épais dans un papier de bonne facture. La couverture est soignée, ornée de vernis sélectifs et vient mettre en forme joliment les quelques éléments textuels qui la composent. La chose est rare mais 3 auteurs sont mentionnés, le logo d’un éditeur inconnu nommé IWA est logé sur le coin tandis que le sous-titre suggère la participation du… légendaire joueur d’échec Garry Kasparov. Rien que ça. Mieux encore, Cédric Biscay, le créateur principal rajoute derrière la couverture : 

“Ce manga est une collaboration incroyable entre Monaco, le Japon, la France et les USA”

Cédric Biscay

Ce contexte exceptionnel donne lieu à un scénario peu ordinaire. L’histoire qui se donne à lire est donc celle de Tom et des échecs mais mettant en jeu une foule d’éléments cosmopolites et fantastiques : le lieu de l’intrigue qu’est l’International School of Shibuya (ISS), le tenant d’un restaurant de crêpes bretonnes, de nombreux rivaux aux origines variées, une potentielle histoire d’amour avec une jeune célébrité du sport, une machine de réalité virtuelle et comme le dit si bien le résumé : 

“Un événement inattendu (qui) va alors ouvrir à Tom toutes les portes du très haut niveau des échecs, et ce malgré lui…”

Cedric Biscay on Twitter: "2 pages pour Blitz dans le journal l ...

Dans sa lecture Blitz se présente ainsi comme une nuée d’idées en tout genre où le protagoniste semble continuellement à l’aube de grands changements dans sa vie et que son entourage ne va cesser de constater. Sa rencontre avec les échecs est unique et plutôt difficile à résumer d’une traite. Au point où les 200 pages de ce premier volume ne suffiront pas. Blitz me laisse sur ma faim.  

Le récit est bon, engageant mais ne va jamais à l’essentiel. En 1 tome, il aura fallu affronter trop de péripéties et trop d’emphases. Les auteurs ne peuvent pas s’empêcher de répéter plusieurs fois l’importance de Garry Kasparov, comment Tom est aussi affligeant de naïveté que naturellement doué pendant que le dessin s’efforce à montrer à quel point les échecs sont un sport génial en abusant des images et des métaphores.

Ce temps perdu à faire avancer une intrigue dense manque à donner du poids aux personnages, pas assez développés pour accrocher au coeur. Il y a un sens de la mise en scène, des décors qui malgré leur simplicité arrivent à situer l’action, des événements imprévisibles et des personnages intéressants qui me touchent mais jamais assez pour me sentir convaincu en fin de lecture. 

“Merci Jean-Marc”

Blitz est labellisé comme le tout premier manga monégasque et a eu pour l’occasion une formidable opération de communication : une publicité abondante dans les lieux publics, de multiples évènements de présentations, une communication importante sur les réseaux sociaux ainsi qu’un jeu vidéo sur mobile. Les auteurs ne sont pas n’importe qui. Cédric Biscay est l’organisateur d’une convention monégasque annuelle consacrée à l’animation, au manga et au jeu vidéo. Harumo Sanazaki est un grand nom du manga et Garry Kasparov… a déjà eu droit à son lot d’éloges dans cet article. 

Encore une fois, qu’on n’ait été mis au courant ou non de tout l’évènementiel qui a accompagné la sortie du manga, on ne peut pas s’empêcher de le percevoir différemment. Ce qui peut sembler n’appartenir qu’à la communication ou au marketing jouent comme des parties intégrantes à l’oeuvre. Celle-ci en particulier laisse transparaître l’ampleur de la démarche. Que ce soit dans la couverture que j’ai décrite, dans le récit avec Kasparov qui joue un rôle dans l’intrigue, la mention de Monaco, la population internationale qui habite les pages ou la postface dédiée à ceux qui ont aidé le manga à voir le jour. 

“Il est très fort ce joueur”

On peut mettre Blitz en perspective avec d’autres cas de publication. La collection grand format “Latitudes” chez Ki-Oon donne une vrai plus-value à la lecture. Les rééditions comme celles de FMA viendront inscrire de la nostalgie dans le coeur des fans et des attentes pour ceux qui en profiteront pour découvrir la licence.  

L’histoire éditoriale d’une oeuvre a une importance qu’il est difficile de séparer du récit. Qu’on le veuille ou non elle déteindra sur notre appréciation finale. Ca n’empêche pas d’avoir une opinion plus ou moins segmenté sur le récit, de faire le détail de notre jugement et de se demander précisément ce qui a joué mais ça ne doit pas mener à mon sens à dénigrer l’un pour l’autre. 

C’est sûrement ce que j’ai essayé de faire dans cet article avec les pseudos-parties mais même avec toute la rigueur possible j’ai sûrement été aveugle. L’écrit que vous venez de lire est influencé dans chacun de ses paragraphes. Je ne pense pas que j’aurais vécu les histoires de Tom de la même manière si on me les avait présenté dans une autre édition, chez Panini ou Kurokawa. De plus, il n’y a pas que l’histoire éditoriale, il y a aussi la mienne. Celle d’un Poyjo qui a vu les publicités, s’est rendu à l’avant-première et a voulu dédier quelques heures de sa vie à écrire cet article. 

Pour reprendre l’introduction, on a tendance à sous-estimer l’impact singulier d’une oeuvre sur notre vie, beaucoup moins bref qu’on l’imagine. Je ne mesure pas quel impact aura cet article sur votre envie de lire Blitz mais je sais que je le garderai personnellement en tête encore quelques temps, comme un parcours éditorial intéressant mais aussi comme une histoire assez amusante avec un pitch improbable et un certain Garry Kasparov, je vous l’ai dit ?

Bibliographie

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