Interview : Saeko Doyle, l’illustratrice de Blind Spot

Interview publié initialement le 3 Mars 2016

Il y a quelques semaines, Guillaume Lebigot nous faisait l’honneur de répondre à notre interview. J’avais critiqué cette œuvre en 3 tomes avec plaisir et j’étais particulièrement content quand son auteur avait accepté ma demande. Mais voilà, parler seulement de Guillaume Lebigot c’est oublier qu’il y a à ses côtés une personne tout aussi formidable à qui l’on doit la représentation que l’on a en tête des personnages principaux de Blind Spot. Cette personne c’est Saeko Doyle.

Voici donc son interview, dans laquelle vous découvrirez une illustratrice mais aussi une passionnée qui a plus d’une œuvre dans sa bibliographique et qui ne manquera pas de vous surprendre. Bonne lecture.


Si vous deviez vous présenter rapidement ?

Bonjour, Je suis Saeko Doyle, et je suis illustratrice freelance et assistante trames et décors sur certaines séries françaises comme Angélique vol 1 et 2 (ED Casterman) ou Save me Pythie à partir du tome 2 (ED KANA)

Comment vous-êtes vous décidé à travailler dans le dessin ? 

Je dessine depuis toujours comme beaucoup d’illustrateurs. J’ai toujours voulu travailler dans un métier artistique mais j’ai d’abord fait des études classiques, j’ai une maîtrise de management, puis j’ai travaillé dans les ressources humaines brièvement avant de changer complètement de carrière, l’envie de gribouiller toute la journée m’ayant vite rattrapé.

Qui est Guillaume Lebigot pour vous ? Comment l’avez-vous rencontré ? 

Je ne connaissais pas Guillaume personnellement avant l’aventure Blind Spot. C’est notre éditrice qui nous a présenté l’un à l’autre. On s’est vite bien entendu et travailler avec lui a été un plaisir.

Comment vous êtes-vous retrouvée à dessiner pour Blind Spot ?  

Notre éditrice chez Up Editions m’a contactée pour me demander si j’étais tentée par ce projet. Elle m’a exposée l’histoire et j’ai été emballée ! Une histoire de lycéenne japonaise malvoyante cherchant à réaliser ses rêves malgré son handicap, je me suis dis que ce serait trèèèès intéressant à illustrer ! Étant donné que je suis une grande fan du Japon et de sa pop culture, je ne pouvais qu’être enthousiasmée. Je remercie Rosalys d’avoir pensé à moi pour ce projet.

Fanarts par Saeko sur (de gauche à droite) No Game no Life, Gintama et Barakamon.

 

Blind Spot n’est pas votre première œuvre. Vous avez également dessiné Forever Love, un recueil de nouvelles aux côtés de Chris Verhoest aux éditions Alexan. Comment s’est passé la transition entre cette première œuvre et Blind Spot au niveau de votre dessin ? Y-a-t-il des difficultés à dessiner pour un light novel ?

Alors honte à moi, étant donné que je n’ai jamais lu de light novel à part Blind Spot, et celui de « Happy Mariage » (qui était sorti en même temps que le tome 10). Je n’ai pas réfléchi à ce travail comme à un travail sur light novel mais comme un travail d’illustration classique, à savoir illustrer un passage particulier du texte. « Forever Love » n’a pas été écrit par Chris Verhoest dans un esprit « light novel » non plus. C’était un recueil de nouvelles illustrées.

Je pense que la difficulté reste la même dans tout travail d’illustration, le chara design selon l’histoire (et selon la cible), choisir la bonne scène et sa composition.

Combien de temps et de travail a représenté Blind Spot depuis sa création ? 

J’ai une très mauvaise mémoire pour estimer le temps que cela a pris, mais plusieurs mois pour les trois tomes en ce qui me concerne.

Aviez-vous des consignes ou le champ libre à l’élaboration des personnages de la série ? 

J’étais libre, j’avais fait quelques essais, à partir des description des personnages, ensuite Guillaume et mon éditrice ont validé. J’avais fait les cheveux courts à Shizuka au début par exemple (rires)

Y-a-t-il un personnage que vous avez pris plus de plaisir à dessiner ? 

Comme Ayako est quasi sur toutes les illustrations je dirais que j’ai pris du plaisir à la dessiner ! Mais j’aime bien aussi Shizuka ! J’avoue aussi avoir été contente de pouvoir dessiner un sujet masculin dans le troisième tome (rires).

Que pensez-vous des Éditions Univers-partagés ?  Et pourquoi les avoir choisi ? 

Ce sont eux qui sont venus vers moi, car l’éditrice me sait très passionnée par les seiyuu et le Japon. C’est une minuscule structure associative qui a accompli un gros travail pour Blind Spot, disponible sur pleins de supports, et nous a même permis de dédicacer au Salon du livre de Paris, alors merci à eux !

Qu’a pu vous apporter ce light novel en tant qu’auteure et personne ? 

En tant qu’auteure, Blind Spot m’a apportée une expérience très agréable car je pouvais m ‘exprimer assez librement par les illustrations. Habituellement, les travaux que l’on me commande ont un cahier des charges très précis, et peu de marge à une « vraie » créativité.

Avec Blind Spot, j’ai pu créer des personnages originaux, et dans mon style, donc je me suis bien amusée. Dans certains travaux on me demande de ne pas avoir un style « manga » notamment en illustration jeunesse, c’est assez frustrant. (« Pouvez-vous dessiner dans le style « Boule et Bill » ? -_-)

En tant que personne, j’ai pu rencontrer des lecteurs adorables en dédicace, et j’en garde d’excellents souvenirs ! Car j’adore discuter avec les lecteurs, et je les en remercie chaleureusement.

Décors et Trames par Saeko sur un extrait de Angélique.

Que pensez-vous de la popularité actuelle de Blind Spot ? 

Cela fait toujours très plaisir d’avoir ici et là des retours sur Blind Spot, et qu’à notre humble niveau on puisse offrir un divertissement à nos lecteurs, c’est très encourageant. Guillaume, surtout, a vraiment accompli un gros boulot pour sortir ces trois tomes, alors je suis très heureuse que Blind Spot ait trouvé son petit public.

Pouvez-vous vivre des recettes de votre livre ? 

Je touche 0,27cts par tome de Blind Spot vendu pour ma part.  Je vous laisse calculer le nombre de livres que vous devez vendre pour pouvoir en vivre.

Et quand il s’agit de votre activité principale comme moi il y a des choix à faire. Notamment sur le temps que vous pouvez vous permettre de passer sur une illustration pour rester à peu près « rentable ».
D’où des illustrations parfois faites très rapidement, même si on voudrait y passer plus de temps mais ce n’est pas possible.

C’est la réalité, rares sont ceux qui peuvent vivre de leurs droits d’auteurs.

Après sur Blind Spot j’ai fait beaucoup plus d’illustrations qu’il n’aurait fallu parce que j’en avais envie et inspirée !

Je me souviens que mon éditrice me disait qu’il y en avait peut-être un peu trop comparé à un LN japonais. Je ne sais pas, qu’en pensez-vous ? Guillaume regorgeait également d’idées d’illustrations et m’en faisait part. Du coup il y a des illustrations suggérées par Guillaume et d’autres où je me faisais plaisir. S’il y a Sho et Sato (personnages masculins) dans les illustrations c’est de ma faute (rires)

Aurons-nous droit à de nouvelles illustrations ou aventures pour Ayako ? 

Je suis justement en train de finaliser, avec Guillaume, un doujin mettant en scène Ayako et son manager. Cependant, il s’agit d’une œuvre réservée aux adultes. Fait dans un esprit « doujin » parodique, sauf qu’il s’agit de nos propres personnages. J’avais envie de m’essayer au genre, alors quand Guillaume m’a envoyée une petite histoire sur ces deux personnages, j’ai été motivée pour le faire (rires)

En dehors du dessin « alimentaire » je dessine surtout par impulsion et envie du moment.

Sinon, on avait aussi en projet une sorte de Guide Book avec des fiches de personnages, pour tout savoir sur eux, un bonus sous forme de planches etc mais faute de temps de ma part cela ne reste qu’un projet.

Pourriez-vous nous parler de MPC ?

M.P.C. est une histoire originale que j’ai créée. Je vous mets le synopsis qui résume la trame principale.

« Kyо̄suke Morikawa est un consultant M.P.C. (Manager Planner Controller), réputé pour son talent à redresser des entreprises en difficulté, mais également pour ses méthodes peu orthodoxes. Parmi ses nombreuses exigences, il interdit notamment les relations sentimentales entre collègues qu’il considère contre-productif.
Ce “workaholic” refuse toute possibilité de tomber amoureux sur son lieu de travail. Cependant, sa nouvelle mission l’amène à rencontrer une jeune femme qui va peut-être le faire changer d’avis. »

J’ai créé cette histoire sur un coup de tête, car j’allais en vacances au Japon et j’avais envie d’aller demander l’avis d’éditeurs japonais sur mes planches. Je me suis inspirée sur une de mes propres illustrations d’un personnage random et je lui ai inventé une histoire.

Ayant travaillé en entreprise, il s’agit de tranches de vie et anecdotes de travail mises en image. L’esprit est plutôt « comédie ». L’histoire se situe au Japon, et j’ai fait beaucoup de recherches sur les us et coutumes dans les entreprises nipponnes, leur management et leur protocole. Les éditeurs japonais ont d’ailleurs apprécié et m’ont dit qu’ils ne se seraient pas doutés que je n’étais pas japonaise. J’ai fait ce choix simplement parce que la vie quotidienne au Japon me passionne.

Notamment à propos de la place de la femme, et j’en discute souvent avec des amies japonaises des différences entre occidentaux et japonais. Je cherche à raconter l’histoire d’une héroïne qui désire son indépendance et qui cherche à évoluer professionnellement et également vis-à-vis de sa famille.

Mon personnage principal Kyosuke Morikawa a étudié à l’étranger (Yale), pour expliquer ses comportements moins japonais (et parce que j’aime aussi beaucoup la culture américaine). Il a un rapport avec l’amour compliqué, je souhaite également le faire évoluer grâce à sa future relation avec l’héroïne, mais je cherche à raconter ces histoires sur un ton léger.

Les éditeurs ont globalement apprécié mes personnages, j’ai adoré les entendre analyser mon personnage en l’appelant « Kyosuke-san » et certains éditeurs (du Magazine Kiss par exemple) auraient voulu que je leur présente un prochain one-shot. Ils m’ont dit que les termes techniques étaient peut-être trop compliqués pour leur lectorat (je suis allée voir des magazines JOSEI). Chaque éditeur m’a parlé pendant une heure chacun mais ce serait difficile de tout résumer en quelques mots.

J’ai réalisé un rêve d’aller présenter mon travail chez des éditeurs japonais, on se sent tout petit face à ces éditeurs, on tremble en leur présentant son « bébé » car c’est la première fois que j’ai écrit et dessiné toute une histoire seule.

Je vous joins les 5 premières planches :

Ce doujin est disponible en français, anglais et japonais dans ma boutique en ligne.

Avez-vous des projets en cours ? 

Beaucoup, en parallèle de mon travail d’assistante, une suite à M.P.C., un doujin de fan avec des amies japonaises pour une convention Psycho-pass au Japon et d’autres projets de fanbooks et de one-shot.

Que pensez-vous de l’arrivée des LN en France depuis Suzumiya Haruhi jusqu’à aujourd’hui ? 

Je ne peux pas vraiment en parler car je n’en ai jamais lu…. faute de temps, l’envie ne m’en manque pas. Je lis beaucoup de manga et je regarde pas mal d’animes (rires)

Cependant, je vois que le développement des LN progresse notamment chez Ofelbe Editions, et je leur souhaite tout le succès qu’ils méritent !

Y-a-t-il des LN que vous aimeriez voir arriver en France ? 

Certains LN m’intriguent comme No Game no Life car j’avais adoré l’animé !

Et certains LN Psycho-pass, ma série préférée.

Que regardez-vous/lisez-vous en ce moment ? 

  • Ce que je lis : L’attaque des Titans, Dans l’intimité de Marie, Innocent, Brainstorm Seduction, Border, Le maître des livres, Sakamoto pour vous servir, Barakamon…
  • Ce que je regarde : Le Rakugo ou la vie, Osomatsu-san, Gintama, Erased, Dimension W, Rainbow Days, Haikyuu…

Que pensez-vous de Psycho-Pass ? 

Haha, pourquoi cette question ? Pour moi, juste ma série préférée 😉 que j’ai découvert en anime d’abord, et je suis tombée amoureuse de l’univers et des personnages, car c’est une série très intelligente, avec un chara-design fort, et un monde dystopique comme je les aime. C’est très inspirant.

Et en discutant avec le fandom japonais, on découvre que l’animé n’est que le sommet de l’iceberg, il existe des romans, des LN, des dramas CD, un jeu vidéo, des livres, des manga, l’actualité est permanente. Chaque personnage a un background connu, dans les profiling book il y a des descriptions de tout l’univers, le cadre géo-politique, leur sécurité sociale, le système éducatif, tout est décrit. Mais on peut aussi se tordre de rire avec la parodie Gakuen Psycho-Pass.

J’aime quand on sent que les auteurs sont omniscients.

J’avoue que sur mes propres personnages avant de les dessiner j’ai besoin de TOUT savoir sur eux, j’ai du mal à dessiner un personnage comme ça sans histoire comme beaucoup savent le faire. J’ai besoin de connaître leur passé, ce qu’ils aiment, qui ils sont pour être vraiment inspirée.

C’est pour ça que pour moi Psycho-pass est juste une série parfaite.

L’anime est passé sur France 4 récemment et j’aurais voulu qu’il y ait un engouement plus fort haha, j’ai hâte que les mangas sortent en France, même si j’ai tous les mangas en version originale déjà.  Et j’espère qu’ils nous sortiront une troisième saison de l’animé ou un anime sur l’inspecteur Kougami.

Un conseil pour celui qui voudrait illustrer un light novel français ? 

Pas de conseil particulier pour le domaine du LN, si vous avez l’occasion de pouvoir en illustrer un, c’est super.

Je vais juste élargir la question au métier d’illustrateur en général.

S’il s’agit d’une publication professionnelle, il faut bien réfléchir aux conditions du contrat d’édition. Je suis désolée d’être très terre-à-terre, mais le plus important reste de pouvoir payer ses factures, même si c’est très tentant au début d’accepter tout et n’importe quoi pour être publié.

Je préconise juste de faire attention à la rémunération mais dans ce métier il faut aussi garder du plaisir à dessiner, et s’accrocher quand c’est difficile. C’est un métier qui ne compte pas ses heures (« oh un mail pour du boulot le vendredi soir pour le lundi ! »), vous devez aussi gérer votre compta, courir après les mauvais payeurs, respecter les deadlines, etc mais quand vous surmontez tout ça, c’est vraiment un vrai bonheur.

Alors Fight !

Pour finir, voudriez-vous rajouter quelque chose, laisser un message à quelqu’un en particulier ou à quiconque lira cette interview ?

Si vous avez tout lu merci ! J’espère ne pas avoir été trop barbante. J’ai voulu expliquer un peu en détail mon métier, alors je remercie Vaikarona pour cette interview.

Merci aussi à vous pour vos chroniques sur Blind Spot !

Et je suis toujours ravie de discuter via mes différents réseaux ou en convention alors n’hésitez pas 😉

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