La Princesse Iguane : deux pieds en avant

Connaissez-vous Moto Hagio ? Auteur de manga emblématique de la fin du XXe siècle, elle est connu pour le travail remarquable qu’elle a effectué dans la science-fiction et le boy’s love ainsi que pour l’innovation qu’elle a apporté au shojo au sein du Groupe de l’an 24. Alors que la plupart des shojo étaient écrits par des hommes avant les années 70,  Moto Hagio a fait parti de ces auteurs à donner une vision différente du “genre”, une vision qui reste encore de nos jours unique et intéressante. 

Si c’est une image du drama que vous avez en couverture de cet article, La Fille Iguane (Iguana no Musume) est bel et bien à l’origine un manga de Moto Hagio dessiné en 1991. Publié dans le magazine Petit Flower (désormais Flowers) au Japon, il est publié chez Glénat en France au sein d’une anthologie de 2 tomes consacrée à son auteur.

L’une des forces de Moto Hagio est sans conteste d’avoir écrit des histoires qui ne subissent pas le passage du temps. Qu’il s’agisse de son trait ou de ses thèmes de prédilection, chacun des deux est suffisamment universel pour perdurer autant que possible. On est loin du shojo lambda des années 2000 aux yeux atrophiés, bras rigides et tout un esprit de composition qui rend la lecture difficile de nos jours et même s’il y a de très bons shojo durant cette période, aucun n’a le style de cet auteur. Je ne monte pas Moto Hagio sur un piédestal, il ne s’agit pas de l’auteur le plus brillant du siècle dernier mais d’une femme qui sur toutes ces histoires a réussi à laisser paraitre sa trace. Et bien entendu, c’est aussi le cas de la Princesse Iguane.

La Princesse Iguane aborde une relation iconique : celle d’une mère et de ses enfants. Quand l’une semble adorable, l’autre parait comme une iguane aux yeux de sa mère et d’elle-même. Pourtant le reste du monde voit notre héroïne comme une fille normale, voire charmante et intelligente. Le cœur de l’histoire se consacre donc sur cette relation conflictuelle qui au fil des années ne semble pas s’améliorer.

S’étalant de la naissance jusqu’à l’âge adulte de l’iguane, nommée Rika, on suit les tentatives de cette dernière à attirer l’attention de sa mère  en faisant des bêtises, en se surpassant à l’école mais aussi malgré elle en souffrant de la comparaison entre elle et sa sœur Mami. Malheureusement ce désamour est presque inné, Rika subit ce dénigrement sans pouvoir y remédier depuis sa naissance et doit faire avec.

Pourtant au lieu de s’effondrer ou de s’enfoncer dans ce rapport compliqué, Rika continue de grandir et parvient même à mener une vie plus que correcte. Ce manque d’attention de sa mère lui fait défaut mais ne l’empêche pas d’avancer, comme s’il y avait toujours moyen de s’en sortir en dépit de ses problèmes familiaux. Et c’est sans doute le cas quand on regarde la plupart des histoires de Moto Hagio : de nombreuses relations familiales compliquées qui préoccupent mais ne viennent pas accabler le personnage principal comme un poids insupportable. Rika souffre de ce rapport compliqué mais n’en meurt pas et forge son caractère à partir de cela.

Et avec un peu de recul l’histoire de Rika n’est pas si extravagante. Ses tracas, ses soucis et cette relation compliquée ne sont pas étrangers à ceux d’une jeune fille normal. En représentant la fille comme une iguane tout en sachant que seule sa mère la voit ainsi, Moto Hagio ne fait qu’accentuer ce sentiment étrange que pourrait ressentir n’importe quelle personne durant sa jeunesse quand il s’agit de chercher à se faire accepter auprès des autres, de supporter son regard dans le miroir et tout simplement de grandir.

La construction de la Princesse Iguane est semblable à une métaphore habilement déguisée mais est sans doute plus proche de la fable : comme une histoire d’animaux accompagnés d’émotions humaines pour évoquer et faire comprendre plus facilement des problèmes communs avec une simplicité déconcertante. Le dénouement de fin n’est en soi pas nécessaire pour la morale mais donne une conclusion efficace et charmante à une pourtant si courte nouvelle.

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