Tokyo Godfathers, balade improbable en plein hiver

Publié initialement le 25 Février 2017

A l’occasion du Noël 2016, nous avions organisé un concours avec à la clé quelques cadeaux à gagner. Il s’agissait d’un bête questionnaire sur film mais surtout d’une invitation plus ou moins grossière à aller voir Tokyo Godfathers que j’aime particulièrement et qui se prêtait assez bien au mois de Décembre. A la fin du concours, je voulais donc présenter et commenter le film. Nous voici 2 mois plus tard, c’est peut-être un peu tard (ou trop tôt) pour en parler mais, peu importe, pourquoi s’en priver ?

Pourtant celui-ci est en marge et ce, doublement. Aussi bien par rapport à l’image que l’on peut se faire d’un film de Noël que de la filmographie de son réalisateur, Satoshi Kon. On semble ici bien loin de Paprika, Perfect Blue ou encore Millenium Actress par les thèmes qu’il aborde. Il ne faut pas comprendre ici que Tokyo Godfathers est mauvais ou étrange ou simplement qu’il est moins bon que ces derniers. Et c’est de ça dont j’ai envie de parler et de présenter aujourd’hui : si le film n’est à l’image ni du réalisateur ni des fêtes de fin d’année, Tokyo Godfathers n’aurait jamais pu naître dans d’autres circonstances et respecte l’esprit de Noël au moins aussi bien que d’autres.

Si vous ne connaissez pas Satoshi Kon, ce n’est pas un drame. Le réalisateur jusqu’à très récemment était loin de faire l’actualité et accuser sa mort en 2010 ne serait sans doute pas une erreur. Depuis peu cependant le nom revient sur les lèvres avec la sortie de quelques-unes de ses œuvres en France avec notamment un manga, Fossiles de rêve et son premier film, Perfect Blue. J’espère du coup qu’on entendra encore parler longtemps de lui car un bon nombre de ses œuvres n’est toujours pas disponible en France tandis que d’autres ne le sont plus, ce qui est malheureusement le cas de Tokyo Godfathers.

Il est assez facile de reconnaitre le style de Satoshi Kon par sa manière de gérer les transitions et son gout pour la mise en scène et le cinéma. Paprika, sa dernière œuvre terminée, s’affiche comme un représentant facile mais évident de ce à quoi il faut être habitué avec ce réalisateur : un jeu constant entre fictif et réel, entre peurs et désirs, entre dégout et passion.

Sauf que Tokyo Godfathers ne correspond pas du tout à cette description : pas de transitions farfelues ou d’étourdissements quand il faut comprendre ce qui appartient au fictif ou au réel ; un sujet assez original dans sa filmographie de sorte qu’on peut dire paradoxalement qu’il s’agit du film le plus accessible du réalisateur.

Hana, Gin et Miyuki sont trois sans-abris se côtoyant bien que n’ayant pas grand-chose en commun. Si le premier est une femme transgenre, Gin est un alcoolique au passé fantastique mais trouble tandis que Miyuki est une jeune fugueuse au caractère trempé. Alors que le groupe flânait près d’une déchetterie, ils y découvrent un bébé abandonné dans son berceau. Pris d’un bon sentiment, Hana décide alors d’entrainer ses camarades à la recherche de la mère du bébé, car qui peut bien abandonner son enfant à l’approche de Noël ?

Cette quête assez particulière alors qu’elle aurait pu se finir rapidement au poste de police, prend des tournures fantastiques grâce au caractère déjanté de ses personnages mais aussi par la masse incongrue de retournements de situation. Dans un Tokyo que l’on n’a pas l’habitude de voir, tout semble tenir sur un fil. Les personnages frôlent la mort, survivent aux accidents, rencontres dangereuses et autres péripéties liés directement à leur recherche.

Nappé dans le noir, loin des grands quartiers, la vie de ces sans-abris se fait sur les toits, les parcs, les ruelles sombres. On les découvre notamment à la messe, profitant du spectacle mais aussi de la cantine improvisée sur le trottoir. Cependant, la quête que vont suivre nos héros, va les obliger à parcourir d’autres endroits : à prendre le train, visiter un cimetière, de riches demeures et des quartiers populaires mais aussi à rencontrer une galerie de personnages haute en couleur pendant le mariage somptueux de 2 familles légèrement inquiétantes, dans un quartier d’immigrés chez une mère de famille, dans un bar de transgenres, auprès d’un policier à la recherche de sa fille et bientôt la mère du fameux enfant.

Tokyo Godfathers se présente ainsi comme un véritable tableau, un recueil de toutes les anomalies de la ville, tout ce qui ne correspond pas à la norme stricte du salaryman et qui pourtant existe bien et sans forcément être malheureux. S’ils paraissent sombres quand je les décris, les personnages ne manquent cependant jamais de paraitre attachants, amusants, pitoyables et profondément humains.

Cet attrait des personnages on ne le doit pas qu’à une écriture bien réussie mais aussi grâce au chara-design de Satoshi Kon (oui toujours le même) qui en étant aussi réaliste que sur ses autres films, crée un décalage formidable sur Tokyo Godfathers lorsque les émotions viennent littéralement défigurer les personnages. Hana et Gin sont sans doute les meilleurs exemples, de sorte que la première est ultra-expressive, une véritable montagne russe à émotions qui le montre aussi bien par des expressions farfelues qu’une gestuelle improbable ; Gin quant à lui a ce visage de celui qui ne comprend pas dans quel pétrin il est embarqué.

Pourtant Tokyo Godfathers est loin d’être hilarant, et ça ne semble clairement pas être l’objectif du film. La plupart des scènes sont efficaces pour afficher un sourire mais plus rares sont celles qui vous feront mourir de rire. Ce qui est plus fascinant à l’inverse c’est le côté caricatural de la ville de Tokyo et de ses habitants. Les faiblesses des personnages et le caractère pittoresque de certains quartiers ressortent très bien encore une fois grâce au chara-design mais aussi grâce au travail sur le décor. A tout ceci, il faut rajouter le travail du compositeur Keiichi Suzuki qui a produit des morceaux dépaysant à la limite du parodique avec des reprises de Silent Night mais aussi de l’accordéon et de l’orgue loin de donner une atmosphère romantique mais davantage quelque chose de bancal et pourtant réussi.

Loin de l’imagerie rouge et blanche, de la bienveillance et de l’amour surabondants auxquels on est habitué dans les films de Noël, Tokyo Godfathers nous emmène dans une métropole inhabituelle, sombre et extravagante, loin du traditionnel sapin, des grands magasins ou du cocon familial. Il y a pourtant quelque chose de tendre et chaud, à rire auprès de personnages farfelus, quand on découvre les histoires respectives de nos protagonistes, qu’elles soient joyeuses, tristes ou débiles.

Il n’y a ici pas de place pour un Père Noël, ou de la charité désintéressée. Tokyo Godfathers ne nous offre pas pour autant une vision acerbe ou critique de la société mais se contente de faire figurer pendant plus d’1h30 une foule d’individus rarement mis en avant à l’écran et plus rarement encore de cette manière. Comme des gens avec des tracas qui n’appartiennent à personne d’autre, que l’on soit une fugueuse, un mafieux dans une situation délicate, une infirmière sans père ou le gérant d’un konbini occupé à dégager des sans-abris.

Si Hana décide de chercher la mère du bébé ce n’est sans doute pas pour l’esprit de Noël, ni par une bonté surnaturelle, c’est simplement son caractère et ses caprices qui parlent. Si Gin râle en permanence tout en continuant à les suivre c’est surement qu’il y a autre chose que de la paresse qui le pousse à agir. Si Miyuki alterne entre caprice et déprime ce n’est pas forcément le soi-disant passage obligé de l’adolescence.

Pour ce film, Satoshi Kon a été aidé de Keiko Nobumoto, la créatrice de Wolf’s rain mais aussi scénariste sur Cowboy Bebop et Macross Plus. Il est difficile d’établir son influence sur le résultat final mais il est aussi à noter, qu’à la différence des autres films du réalisateur, c’est Keiichi Suzuki (dont on parlait plus tôt) qui est le compositeur et non Susumu Hirasawa (Berserk, Paranoia Agent, Paprika).

Il y a également de nombreux facteurs qui pourraient faire de Tokyo Godfathers un film bien différent des autres. Dans les faits, le film semble loin de jouer sur la réalité, les rêves et le fictif comme a pu le faire Millenium Actress. Il s’agit seulement de l’histoire de quelques personnes à la fois géniales et étranges durant les fêtes de Noël ; c’est seulement ça et c’est surtout ça qui fait que Tokyo Godfathers n’est pas le film de Noël de monsieur tout le monde et clairement une œuvre propre à Satoshi Kon.

Tokyo Godfathers est aussi bien une transition qu’une étape dans le parcours du réalisateur. Des univers réalistes, des décors familiers, des personnages aussi humains que possible composent les premiers films de Satoshi Kon dont celui-ci. On est d’une certaine manière assez loin de la fantaisie visuelle de son film suivant, Paprika. Pourtant Tokyo Godfathers possède sa dose d’extravagance à travers ses personnages et les rebondissements de leurs histoires. Mieux encore, si le film ne joue pas sur la fiction et le rêve, il manie très bien les multiples réalités de la ville de Tokyo, ses multiples visages et leur manière de s’afficher dans un contexte aussi particulier que les derniers jours d’une année.

Dans un sens et contrairement à ce que j’ai pu dire avant, découvrir Satoshi Kon grâce à ce film n’est pas dépaysant, c’est une entrée en douceur avant de se prendre la tête sur ses autres œuvres. Si Tokyo Godfathers est souvent dénigré pour ne pas avoir le même degré de complexité que ses autres films, il est tout de même intéressant comme une invitation à sourire sans artifices devant les festivités inhabituelles de trois sans-abris formidables, qui ne joue pas sur la surenchère de bons sentiments mais comme une foulée de péripéties en tout genre et qui se vivent sans réfléchir. Si vous n’avez pas sauté le pas, jetez-vous-y et JOYE-


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