Voici la première collaboration Vaikarona x 1 personne = 1 multitude ! Le camarade Poyjo et moi vous proposons chacun notre lecture d’un film japonais. La particularité est que ce dernier a connu une adaptation en anime. Poyjo vous présentera sa critique en gardant à l’esprit l’anime que je n’ai pas vu. La mienne se base uniquement sur le film.
The Great Passage (Fune Wo Amu) est un film de Yûya Ishii, sorti en 2013. Pour son neuvième film, il s’attaque à l’adaptation d’un roman de Shion Miura, une femme au talent redoutable puisqu’elle a également écrit Tada’s Do-It-All House et Wood Job! Il y a deux autres romans de cette autrice mais je n’en parlerai pas puisque je n’ai pas vu leur adaptation. Oui, vous comprenez ainsi que ses œuvres sont non seulement passées sur grand écran mais qu’en plus elles ont du succès. Si ce n’est pas la classe, ça !
L’histoire est celle d’une équipe d’éditeurs voulant créer un tout nouveau dictionnaire. L’action se déroule en 1995 et l’huile de coude est plus que nécessaire : même s’ils ont un ordinateur à leur disposition pour la base de données, la plupart du travail se fait à la main. Et manque de bol, Araki, un des employés les plus zélés prend une retraite anticipée… S’il veut partir l’esprit tranquille, il se doit de dénicher la perle rare. En compagnie de son collègue Nishioka, un joyeux drille qui fait tache dans cette équipe de rats de bibliothèque, Araki visite les différents départements de leur boîte. Le but est de trouver « le clou qui dépasse » soit un employé qui serait nul dans son poste actuel mais peut-être parfait pour le dictionnaire. Et c’est ainsi qu’ils font la rencontre de Majime – dont le nom signifie « sérieux »…
133 minutes de film, ce n’est pas un peu exagéré pour un tel sujet ? Pas du tout. L’histoire ne comporte pas de coup d’éclat puisqu’il s’agit d’une comédie dramatique avec un soupçon de romance. Et encore, je ne peux pas dire que c’est un film romantique, car ce n’est pas le sujet principal et c’est amené très naturellement et tout en délicatesse. En effet, la force du film vient de cet aspect « tranche de vie »
Majime évolue au même rythme que le dictionnaire mais il n’est pas le seul. J’ai apprécié tous les personnages secondaires car ils sont crédibles : chacun•e a ses rêves et ses soucis. Même si on ne rentre pas trop dans l’intimité de certain•e•s, tout se devine à demi-mot. J’ai eu plaisir à voir aussi plusieurs tranche d’âge. Les plus jeunes ont la trentaine (même si des étudiants dans la vingtaine font une courte apparition) et les plus vieux doivent avoir dans les 60 ans ? J’ai du mal à attribuer un âge aux gens. Et le plus beau… c’est que les vieux ne profitent pas de leur âge pour être autoritaire envers leurs cadets. Il y a un vrai travail d’équipe où on n’hésite pas à déléguer le travail équitablement.
On tire plusieurs leçons au travers de ce film, sans que ce soit lourdingue. Ce sont des messages évidents, nul besoin d’être agrégé en philo pour les saisir, mais comme les personnages qui les véhiculent sont attachants, ce n’est pas gênant. Quand Majime cherche maladroitement à se rapprocher des autres ou lorsque Nishioka laisse entrevoir sa vulnérabilité, on se surprend à sourire. Ce sont des moments qui donnent du baume au cœur.
The Great Passage invite ses spectateurs à poser un regard différent sur les mots et à redonner de la valeur à la communication. Bavarder nous semble être au quotidien une activité banale, parfois pour tromper le temps ou juste par devoir social. Le film nous permet d’apprécier à nouveau ce qui peut nous blaser en montrant que ce n’est pas évident pour tous. Majime lui-même reconnait ses difficultés et son isolement mais grâce à la bienveillance de ses collègues, de celle qui tient la pension où il vit et grâce à l’amour (mais pas que), il sort enfin de sa réserve. Il apprend à être avec les autres tout en restant tel qu’il est. Et inversement, son entourage aussi évolue en positif suite à leur rencontre avec lui. Tout le monde est gagnant !
Le casting a contribué à la réussite du film. On est gâté puisqu’il y a de grands noms dont la réputation n’est plus à prouver. Ryuhei Matsuda fait de Majime un introverti convaincant et face à Joe Odagiri dans le rôle de Nishioka, on a droit à des scènes rigolotes. Du côté des actrices, Aoi Miyazaki, Chizuru Ikewaki et Haru Kuroki sont excellentes. Ce sont trois femmes aux rôles assez différents mais qui ont en commun une volonté indéniable. Je n’entrerai pas dans les détails pour ne pas spoiler. L’interprète d’Araki, Kaoru Kobayashi dégage l’assurance tranquille des grands acteurs. Je le connaissais principalement en tant que Master dans La Cantine de Minuit (Midnight Diner) mais ici il parvient à nous faire oublier ce personnage. Je n’ai pas grand-chose à dire sur l’éditeur-en-chef joué par Gô Katô : discret dans son rôle, il délivre une bonne performance. Deux très courtes apparitions m’ont fait plaisir, celle de Kazuki Namioka en éditeur (alors que j’ai l’habitude de le voir en bandit/voyou) et Kumiko Asô en égérie sur le poster promotionnel du dictionnaire.
Pour le côté technique, je suis une tanche alors je me contenterai de dire que le film m’a paru chaleureux. On a beau voir l’action se dérouler à 90% en intérieur poussiéreux ou dans des lieux envahis de bouquins, les tons chauds et l’éclairage représentent bien la bulle où vit Majime. Et c’est marrant de constater qu’au fur et à mesure qu’on se rapproche de la fin, l’action se passe plus souvent dehors et les tons sont plus clairs. De plus, le nombre de personnages à l’écran augmente graduellement, ce qui montre bien l’ouverture au monde que vit Majime. On notera aussi que ce dernier est vu de dos ou de profil au début pour finir par le voir de face ou en mouvement comme les autres.
J’aimerai encore parler pendant des heures de The Great Passage. A chaque visionnage, je note des petits détails qui m’ont échappé. Je n’ai pas pu développer sur les personnages féminins ni sur les nombreuses scènes comiques et encore moins sur l’écoulement du temps. Je pense qu’il est préférable de vous laisser découvrir vous-même ces trésors. Je n’aime pas imposer ma vision même si j’ai privilégié certains thèmes à d’autres en écrivant. J’espère que vous donnerez une chance à ce film.
Je vous invite à lire la critique de Poyjo si ce n’est pas déjà fait. Ce serait fort regrettable de passer à côté ! Nos critiques sont comme Majime et son chat : inséparable.
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