De Digimon à Summer Wars : Shinka

9 ans. C’est le temps qui sépare Summer Wars de Bokura no War Game, le 2e film Digimon. 2 films à priori sans rapport mais qui ont beaucoup de choses en commun pour celui qui les a vu tous les deux.

Pourtant en regardant le staff et le studio de ces films, il y a peu de choses en commun et on pourrait se poser beaucoup de questions s’il n’y avait pas parmi tout ce monde, un nom qui ressortait élégamment. C’est le nom d’un Homme à l’aura particulière, loin d’être étranger à un certain Miyazaki, loin d’être inconnu tout court et que l’on connait tout simplement sous le nom de Mamoru Hosoda. Et oui, c’est aussi le criminel du plagiat qui va nous occuper aujourd’hui.

Construction Similaire, thèmes identiques, visuels communs, sujets ressemblant. Les images qui parcourent cet article ne pourront que vous convaincre des amitiés que partagent ces 2 films.

Mais parler de plagiat est peut-être un peu sévère non ? Ces films sont étiquetés à son nom et on les désigne comme étant ses films. On se retrouve en fait face à un réalisateur qui a décidé dans sa vie de créer 2 œuvres presque identiques sur certains points. Peut-on alors parler de paresse ? Les auteurs paresseux ce n’est pas une nouveauté et même si les raisons peuvent être très intéressantes (ou pas) on peut accuser un tas de choses au pif comme un contexte familial compliqué, une créativité au point mort, une personnalité étroite ou un problème de santé ? Ou en est donc Mamoru Hosoda ?

Le réalisateur, à qui on donne volontiers le surnom de “successeur de Miyazaki” en est pourtant à son 7e film. Son dernier, The Boy and the Beast, fut son plus gros carton avec 5,85 Milliards de yen rapportés durant toute son exploitation. Pourtant, malgré ce beau chiffre, ce film n’est pas forcément celui qui plait le plus. Outre le personnage féminin agaçant de la seconde moitié, on accuse ce film de laisser une forte impression de déjà-vu.

Et c’est là le nœud du problème. Entre ce film et ses précédents, Mamoru Hosoda ne cache pas ses quelques sujets fétiches comme la famille, l’amitié et l’immersion d’internet dans notre quotidien. Ce fétichisme est ainsi ce qui fait l’image du réalisateur mais aussi sa limite. Ce serait ennuyeux, pour un réalisateur qu’on espère voir dans les salles obscurs pour encore au moins 10 bonnes années, d’avoir le droit à une suite de films sans originalité.

Cependant, plutôt que de s’inquiéter pour le prochain film de Hosoda annoncé en 2018, j’ai plutôt envie de jeter la tête en arrière et plus particulièrement sur les films cités plus haut : Digimon Bokura no War Game et Summer Wars. Vous l’avez compris, si j’ai choisi 2 films aux ressemblances aussi frappantes dans l’œuvre du réalisateur, c’est pour pouvoir déterminer si, oui ou non, Mamoru Hosoda est un fétichiste talentueux.

Commençons déjà par arrêter de le décrire comme un fétichiste.

En l’an 2000, année de la 31e fin du monde et d’autres catastrophes dont nous sommes les survivants, plus précisément le 4 Mars, le 2e film de la franchise Digimon sort et s’ouvre sur le fameux Boléro de Ravel. Loin d’être anodin, la fameuse composition fait un clin d’œil au premier film qui en avait usé génialement tout le long. Mamoru Hosoda établit ici une continuité directe avec son premier film quitte à en oublier la série. Le réalisateur a en effet l’habitude de s’approprier personnellement les œuvres qu’ils adaptent le temps d’un film. De sorte que les 2 premiers films Digimon et notamment le film One Piece sont avant tout des œuvres du réalisateur avant d’être à l’image de leurs séries respectives.

A l’opposé Summer Wars est sa première œuvre entièrement originale. Pas d’œuvre de référence comme dans la Traversée du Temps, juste Hosoda délivrant corps et âme le message et l’histoire qu’il veut faire passer pendant 2h. Contrairement à Digimon qui s’est fait sous la TOEI, Summer Wars est une production Madhouse. Pourtant ni l’un ni l’autre ne portent la trace de son studio, seule la marque de son réalisateur persiste entre les deux œuvres, faisant d’elles des exceptions à part entière. Je pourrais tomber dans la facilité et affirmer qu’entre les deux nous avons un Hosoda beaucoup plus libre en 2009 mais je paresse à l’idée de vérifier les propos que j’ai pu voir ailleurs. Si vous avez des précisions sur le sujet, n’hésitez pas. Au contraire, Summer Wars est sans doute le moins original de tous ses films parce que justement, il y a eu Digimon avant.

Entre Digimon et Summer Wars, il y a un élément central qui lie les deux séries : la place d’internet dans nos sociétés. Dans le premier cette place se manifeste à travers les réseaux de communication que les digimons arpentent pour la 1re fois. Summer Wars pose lui un réseau social gigantesque nommé Oz qui s’étend à toute la population mondiale. La particularité de ces places, c’est qu’elles sont intégrés au plus profond de notre mode de vie, de sorte que le dysfonctionnement de ces places entraine de lourdes conséquences dans notre monde.

Si jusqu’à un certain moment dans BNWG ces problèmes sont abordés avec beaucoup d’humour, les conséquences imaginés dans SW sont plus terrifiantes : des hôpitaux et des casernes de pompier sont mis en danger à cause d’Oz. Entre les deux, il y a un gain en réalisme, les années passées ont rendu internet plus crédible et plus présent dans nos quotidiens. Quand le digimon contaminé va jusqu’à faire tourner des grandes roues à toute vitesse, dérégler les caisses de supermarché ; le virus Love Machine de Summer Wars fait planter le système de canalisation et bloque toute la circulation. Ce dernier est du coup moins drôle sans pourtant oublier de l’être, notamment les mines dépités de la famille incapable de faire quoique ce soit sans Oz.

Il devait forcément y avoir des différences entre les deux films du fait qu’autant d’années les séparent. Le problème c’est qu’on ne peut mettre ça à la charge de Hosoda. En réalité la construction de ces deux séquences est très similaire. Elles suivent toutes les deux le moment ou Love Machine et le Digimon contaminé se retrouvent soudainement avec plus de liberté et parviennent à perturber l’ensemble de la société.

De Oz au monde virtuel des réseaux de télécommunication, les différences se comptent sur les doigts d’une main. Si entre les deux le plus grand changement est la CG devenue omniprésente, on reste sur quelque chose d’assez simpliste et blanc. Les deux mondes ont une apparence très particulière qui s’inspire tout droit du superflat : un mouvement artistique lancé par Takashi Murakami qui combine le style des animes et de l’ukiyo-e. Mamoru Hosoda en est un grand utilisateur, son utilisation la plus visible est dans cette pub pour Louis Vuitton mais on en retrouve aussi dans la Traversée du Temps. Le superflat rend ces univers étranges et peu accueillants tout en donnant une impression de liberté. La CG de Summer Wars bien qu’omniprésente contribue même à rendre les avatars plus accueillants et à donner l’illusion que l’on se trouve dans un jeu.

Le plus grand changement se fait dans la manière dont les personnages interagissent avec ces univers. Les digisauveurs communiquent directement avec leurs Digimons avec ces derniers complètement immergés dans ces mondes. Summer Wars nous offre une version d’Oz qu’aucun des protagonistes n’a. Chacun interagit avec ce monde depuis un ordinateur, un téléphone, une console ou depuis une télévision et l’impression qu’ils ont d’Oz dépend presque uniquement de leurs interfaces. Les combats virtuels et les parties de Hanafuda paraissant épiques à nos yeux, ressemblent à des jeux flash pour leurs utilisateurs.

Digimon Bokura no War Game est un film de franchise. On ne peut pas lui ôter la série derrière et qui avait déjà matérialisé les relations entre les différents protagonistes du film. Si ce film fonctionne en 45 minutes c’est parce qu’il y a un fond derrière pour le soutenir. Summer Wars a tout à fabriquer. Les 2 heures qui s’écoulent sont l’occasion de familiariser avec tous les personnages, de s’attacher à eux malgré leur nombre. Ces 2h sont à la fois nécessaire pour rendre l’histoire fonctionnel mais sont aussi l’occasion d’exploiter plus de thèmes. Le rapport à internet ne se fait pas seulement de l’individu au réseau mais aussi depuis l’Histoire, les traditions, la famille et vers le monde. Au final, les 2 films finissent par transformer les actes singuliers des protagonistes en un appel à se battre ensemble peu importe les origines mais Summer Wars réussit davantage son pari en ne discriminant pas les adultes.

En effet, Le public est différent. Digimon s’adresse à des enfants qui ont aimé la série. Summer Wars est plus généraliste, grand public, et va jusqu’à traiter le thème le plus généraliste au monde : la mort. Un traitement bien réussie qui donne plus d’enjeux que n’importe lequel. SW n’en devient pas plus triste mais plus grave. Comme une ultime motivation et une ultime manière d’impliquer toute la famille dans cette lutte qu’ils ne pouvaient déjà plus ignorer.

Mais ni Bokura no War Game ni Summer Wars n’oublient d’être avant tout des jeux. L’aspect de ces mondes est le premier à le montrer et l’humour omniprésent ne fait qu’aider. Il faut y rajouter l’arrivée dans le dernier quart d’un compte à rebours donnant à la fois un dernier élan formidable aux films ainsi qu’une ambiance stressante et tendue.

A chacun des moments de son intrigue, les 2 films trouveront le moyen d’utiliser la musique à leur avantage. Akihito Matsumoto, pourtant habitué aux dramas, réalise une excellente performance et l’un de mes scores préférés toute japanimation confondue (1 Oku 5 Senman No Kiseki, Houkai, Minna no Yuuki, Summer Wars…). C’est une bande originale qui fonctionne très bien sur les moments d’action tout en étant bien adaptée aux moments plus tranquilles ; illustrant très bien la gravité et la terreur de certains autres moments.

Pour Digimon c’est un peu plus compliqué. Je ne l’ai pas abordé jusqu’à maintenant mais le film est arrivé jusqu’à chez nous dans une version US sous le nom de Digimon the Movie, contenant également le 1er Hosoda et un 3e film par Takahiro Imamura. A l’occasion l’histoire a été remanié et a bénéficié d’une nouvelle bande originale pour mieux coller à la version US de la série telle qu’était diffusée sur TF1. Sans vous le cacher j’ai une préférence pour cette version. J’ai grandi avec et je n’ai jamais pu m’en détacher (Where’s Agumon ? ; The Power of Love) . Bon après je sais qu’il y a beaucoup moins d’amour pour les morceaux poprock qui parcourent la version US mais je m’en accommodais très bien petit… Un problème ?

La version japonaise n’est pourtant pas à plaindre. Bien que plus sobre et détendue, elle fait un très bon boulot en reprenant les thèmes de la série par feu Takanori Arisawa qui s’était occupé de Sailor Moon et des séries Digimon 01 et 02. On retrouve également le thème principal de feu Wada Kouji massacré pour le bien d’une des séquences du film.

Bon, abrégeons.

Bokura no war game porte très bien son nom, c’est un terrain de jeux aussi bien pour Hosoda que pour les protagonistes. Un univers ou les adultes insouciants ne se rendent pas compte du danger qui pèsent sur leurs épaules, un univers ou quelques enfants s’occupent seuls d’une crise mondiale. Incohérent sur les bords, le film reste crédible, amusant tout en mettant en lumière les dangers d’Internet.

Loin de porter un regard accusateur sur la société humaine comme peut adorer le faire Miyazaki dans ces films, Hosoda prévient mais parait plutôt conciliant. Ce monde dans lequel nous vivons a ses dangers mais les solutions pour les éviter ne sont jamais très loin. Peut-être y-a-t-il un digisauveur pas très loin pour nous sauver de ce pétrin, peut-être qu’une famille solidaire suffit à rassembler les foules et nous assurer la victoire ?

Chacun de ces films est le témoin de son époque aussi bien par rapport à l’évolution technique que dans sa manière de décrire le monde et notre relation à internet. Hosoda parvient à brasser plus de thèmes, à le faire avec plus d’assurance et de maitrise mais il serait difficile de distinguer 2 Hosoda différents entre Digimon et SW. 9 ans se sont écoulés, les décors sont plus beaux, l’animation mieux travaillé, le chara-design plus rigide, le rythme est mieux géré et Hosoda parvient à gérer une galerie immense de personnages sans en défigurer un seul. Ce qui change réellement entre ces deux films c’est la mise en scène. J’espère avoir su vous le montrer dans les images précédentes mais le réalisateur travaille davantage sur ses plans, jouant plus efficacement sur les couleurs pour représenter les émotions, n’hésitant pas à éclater la perspective pour concentrer une multitude de personnes et d’émotions.

Tout n’est pas repris dans Summer Wars. Digimon n’a pas été simplement copié et conserve des éléments qui lui sont propres. Le final est plus festif dans Digimon que ce soit dans le style que dans la manière dont il est amené. Son côté plus direct se fait ressentir aussi bien sur la menace nucléaire qui pèse à la fin que dans sa manière d’exposer sans détour les émotions. Si Summer Wars gagne en beauté avec le chara-design de Yoshiyuki Sadamoto, Bokura no War Game garde pour lui la fantaisie et le côté délirant de ses tronches.

Je ne peux pas m’empêcher de trouver les films extrêmement similaires tout en les appréciant différemment. Je me laisse emporter par Summer Wars quand je m’éclate sans retenu devant Digimon. Il est pourtant clair que Summer Wars qui n’est la suite de rien ait plus de mérites que Bokura no War Game en tant que prolongement de la série. Pourtant Summer Wars doit tout à ce dernier. Hosoda n’a pas fait de miracles entre les deux, le temps a eu raison du réalisateur plus qu’autre chose. Il est devenu meilleur par l’usure mais reste à savoir si c’est ce même écoulement du temps qui rendra ses prochaines œuvres meilleures.

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