Qui n’a jamais entendu parlé de la rigueur des japonais vis-à-vis de leur service ferroviaire ? Les articles qui se saisissent du sujet sont légions qu’il s’agisse d’en faire un éloge ou d’en montrer les excès. Les trains japonais fascinent tellement qu’il y a une expression pour désigner ceux qui s’en passionnent, parfois même dès leur plus jeune âge : ce sont les “densha otaku”. Déjà au milieu du XXe siècle, le pays avait développé une véritable dépendance aux trains qui jonchent son territoire. Le tourisme comme la culture ont toujours été des occasions de s’en apercevoir : le son symbolique des passages à niveau, 5 Centimètres par seconde, la centaine de modèles de train, Rail Wars, ou la vue des habituels salarymans et écoliers qui empruntent le train. S’il fallait une preuve de cette addiction et de cet ancrage dans leur quotidien, Tokyo Express de Seicho Matsumoto en serait un bel exemple.
Voici venu effectivement une occasion de mêler de manière sordide la complexité du réseau ferroviaire japonais avec une délicieuse histoire d’adieux ou se mêlent enquêtes, frayeurs et soupçons. Tokyo Express est l’histoire d’un double suicide amoureux au bord de mer dans le sud du Japon des années 50 : une fin romantique pour deux amants tokyoïtes qui parvient tout de même à éveiller les doutes d’un inspecteur au visage flétri. Une faible dissonance dans le récit des derniers jours de ce couple et un fond de corruption politique viennent embraser sa curiosité. Et ainsi le regard se porte sur un trajet en train emprunté par le couple. Rien ne dit qu’il y a un coupable derrière ses soupçons mais il est déjà trop tard pour effacer ce doute.
Œuvre phare de Seicho Matsumoto publié en 1958 au Japon et en 1989 en France, Tokyo Express est un concentré du style et des gouts de l’auteur : une affection pour les trains, une description minutieuse du crime, une progression à petit pas et un attachement à la méthode. Bien qu’il ait écrit plus de 450 œuvres, seulement une dizaine ont été traduits en français, Tokyo Express étant le plus emblématique, c’est par celui-ci que l’on commence habituellement. Ce qui fut également mon cas.
S’il fallait donner une raison à cette lecture, et bien, je n’en aurais pas. Fidèle à moi-même j’ai fini par oublier… Disons plutôt que j’ai choisi d’oublier. Je ne m’explique pas la présence de ce livre chez moi et encore moins comment j’ai pu découvrir Matsumoto. Si je devais chercher un coupable ce serait bien entendu encore à cause de toi France Truc et de tes programmes formidables comme les Zinzins de l’Espace et Detective Conan. Particulièrement ce dernier pour m’avoir donné le goût du crime mais bref, je me perds.
A la découverte du couple, les doutes qui s’emparent du vieux Torigai, l’inspecteur au visage flétri, paraissent assez anodins. A l’attitude de celui-ci, à sa présence et à ses interactions au début de l’enquête, on devine facilement que cet inspecteur est de ceux qui fonctionnent au flair et à l’instinct. Il ne précipite aucun conclusion et scrute le moindre détail. Un ticket de wagon-restaurant retrouvé sur l’homme devient ainsi l’objet d’une étrange obsession mais une telle chose peut-elle dire quoi que ce soit d’intéressant ?
Pourtant c’est bien le point de départ. C’est cet indice qui mène Torigai à s’intéresser à l’enquête, à pousser ses soupçons jusqu’au bout, à chercher des horaires de train, à découvrir comment ce couple de tokyoïtes a pu atterrir ici et à voir dans ce ticket de wagon-restaurant le signe d’une relation pas si évidente. Tout ceci ne mène cependant à rien : le maigre inspecteur n’est soutenu par personne dans sa démarche et la scène du crime ne donne aucune raison de douter qu’il s’agisse bien d’un double suicide.
Et Seicho Matsumoto aime ce jeu cruel, lorsqu’il invoque le jeune et méthodique inspecteur Mihara pour venir en aide à Torigai, c’est pour mieux les enfermer avec ce doute persistant et l’impossibilité en face que ces morts aient pu avoir lieu autrement. Tokyo Express nous oblige à suivre une enquête qui avance à petits pas sans jamais réussir à poser un seul jalon. Lorsque l’enquête se déplace à Tokyo en compagnie de Mihara pour chercher un possible suspect, pas un seul indice n’apparait.
La force du récit semble ainsi de maintenir une tension agaçante tout le long : jusqu’au dernier tiers les déductions posées par nos inspecteurs semblent pouvoir s’effondrer à tout moment : On apprend rapidement que la mort de l’homme crée une situation agréable pour le cabinet d’un ministre mêlé dans une affaire de corruption ; on découvre un potentiel coupable mais également un stratagème possible. Le problème c’est que tout reste constamment une question de possibles.
Au final ce qui devient le plus passionnant à suivre est tout le travail de réflexion mené à tour de rôle par les deux inspecteurs pour dessiner le plus fidèlement possible le trajet du couple et celui qu’aurait du suivre le coupable tout en préservant un alibi. Rien ne leur assure que leurs élucubrations mèneront quelque part. On s’attache assez aisément à leur travail autant que l’on s’impressionne du possible stratagème du criminel : si tout s’avère vrai, celui-ci parcourt toute la péninsule japonaise, de l’île de Kyushu au sud à celle de Hokkaido au nord.
Et si tout ceci était faux ? C’est parce que Matsumoto n’avance à aucun moment d’indices pour faire progresser l’enquête que celle-ci nous tiraille avec l’envie d’en savoir plus mais c’est aussi sa faiblesse. J’ai eu du mal à quelques reprises à marcher à l’ensemble de cette escalade théorique. Les inspecteurs ont beau être persistants, l’auteur n’a pas suffisamment appuyé leur description pour que je comprenne l’ampleur de leur acharnement.
Seicho Matsumoto pour son premier et plus célèbre roman policier, tire néanmoins un récit limpide et clair en dépit du thème. Les 3 schémas au sein du roman n’expliquent en rien cette facilité, c’est ici le talent d’un très bon auteur qui s’exprime mais aussi celui de sa traductrice, Rose-Marie Fayolle : celui à rendre compréhensible l’ensemble des trajets qu’il aurait été possible de prendre par le coupable, comme celui de rendre important cette affaire d’heures et de minutes sans laquelle il aurait été impossible d’imaginer un crime prémédité sur l’ensemble du pays.
Il est bien entendu hors de question que je révèle quoi que ce soit du reste de l’intrigue (Jim Carrey meurt à la fin), le plaisir reposant sur le fait qu’on ne sait absolument ce qui va permettre d’enclencher le chapitre suivant. Pour en apprendre plus il faudra plonger aux côtés des inspecteurs. Je ne sais pas si j’ai été suffisamment explicite mais j’ai passé un bon moment en découvrant Tokyo Express. Si je ne cache pas une certaine déception sur la manière dont arrive la fin, il y a beaucoup de qualités à dire sur ce classique du roman policier japonais et j’ai envie de répéter une expression qu’on dit trop souvent comme une évidence mais qui colle beaucoup trop bien à ce roman : Allez-y, parce que le voyage en vaut la peine.