Dark Souls – “Flawed Masterpiece”

II. Level Design

Tout bon jeu solo se doit d’avoir un premier niveau efficace, en cela il faut que celui-ci apprenne les mécaniques du jeu au joueur de façon intuitive et en évitant de longs paragraphes explicatifs. Celui de Dark Souls remplit parfaitement ces critères, car il introduit naturellement la majorité des éléments de combat et de level design du jeu.
Après un menu de création de personnage (classique, un choix de classe avec un équipement et des statistiques uniques, ainsi qu’une customisation d’apparence plutôt incomplète) et une cinématique expliquant les bases de l’univers du jeu, vous retrouvez votre personnage sous forme de carcasse, seul dans une cellule d’une prison délabrée, quand un cadavre affublé d’une lueur blanche tombe sur le sol, lâché par un étrange chevalier. Votre avatar se lève, équipé seulement d’une épée brisée, « Asile des Morts-Vivants » s’affiche en grosses lettres blanches : ainsi commence le tutoriel de Dark Souls.

Puisque la porte de la cellule est verrouillée, la seule action possible est de se placer sur le cadavre pour ramasser la clé de la porte, et dans les premières secondes de gameplay, vous savez déjà à quoi ressemble le loot et que certaines portes doivent être ouvertes à l’aide de clés (basique mais important). Une fois sorti, un message au sol vous indique la commande pour frapper, accompagné de quelques ennemis inoffensifs vous permettant de vous y essayer. Ici, à la manière de beaucoup d’autres jeux, le joueur est introduit à une nouvelle mécanique de gameplay dans un environnement sécurisé afin d’éviter des morts inutilement frustrantes (principe réitéré par la suite pour d’autres niveaux). Après avoir grimpé une échelle, allumé votre premier feu de camp puis ouvert une porte massive, vous êtes présentés à une salle vide et soudainement atterrit devant vous la première menace substantielle du jeu, et c’est aussi le premier boss.

En plus d’être l’un des messages de bienvenue les plus mémorables du Jeu Vidéo, c’est aussi un combat perdu d’avance lors de la première rencontre (pour rappel, vous n’avez qu’une épée brisée), il s’agit ici de fuir l’affrontement pour aller se confronter à la deuxième partie du tutoriel et de revenir mieux armé (d’un meilleur équipement et de meilleures connaissances), tout en apprenant au passage le fonctionnement du système de soin du jeu, l’existence des raccourcis et quelques techniques de combats supplémentaires. Une fois le boss vaincu, vous êtes envoyé dans la province de Lordran. Alors le « vrai » Dark Souls peut commencer.

Essentiellement, la majorité des niveaux du jeu sont des itérations de ce tutoriel en plus complexes avec de nouveaux éléments qui viennent s’y greffer (sans le fait de pouvoir fuir la première rencontre avec le boss) : ce sont presque tous des mini-labyrinthes verticaux avec à la clé un boss. Ici découvrir un niveau et l’explorer est un challenge en soi : Il n’y a ni carte ni marqueur d’objectif, il faut se frayer un chemin jusqu’au boss sans directions évidentes, s’ajoutant à la formule de nombreux chemins alternatifs qui renferment des trésors ou des PNJs cachés, pièges et embuscades punissant le joueur inattentif, et une verticalité très utilisée à travers tout le jeu (rebords, sauts, chutes mortelles, échelles, ascenseurs…) permettant de nombreux chemins de traverses, raccourcis et trous béants, etc…

La disposition des checkpoints joue également un très grand rôle dans l’expérience Dark Souls, le jeu étant plutôt avare en feux de camp (et ne les indiquant pas au joueur), il n’est pas rare de passer de longs moments sans croiser le moindre point de contrôle. En plus d’ajouter un élément de tension au tout, cela transforme la découverte d’un nouveau feu de camp, ou d’un raccourci y menant en un grand soulagement.

La découverte d’un raccourci, un grand moment de jeu

Les environnements sont presque aussi dangereux que les ennemis qui les peuplent, et créent une véritable paranoïa, une peur de l’inconnu. Par ailleurs une des autres forces du level design du titre est aussi son placement considéré desdits ennemis : le système de combat appelle à une approche « un contre un » dans les affrontements car les groupes d’ennemis proches forcent à trade les coups, ce qui n’est absolument pas recommandable, alors la plupart du temps les ennemis sont disposés de sorte que l’ont puisse les isoler relativement aisément en faisant usage de quelques items tels que des couteaux de lancer ou en se positionnant correctement.

Lordran n’est pas une suite linéaire de niveaux, et cela n’est pas simplement dû au hasard : il n’y a pas de voyage rapide au début du jeu. Il s’agit du seul jeu de la série qui le fait et c’est cette décision qui rend Dark Souls premier du nom si unique, même vis-à-vis des autres jeux de la franchise. Cela implique bien évidemment de pouvoir faire se déplacer relativement rapidement entre différentes extrémités afin d’éviter de rendre la navigation pénible et ennuyeuse, pour ce faire il faut considérer la façon de construire le monde autrement et le world design de ce jeu constitue un point majeur de son expérience, le monde est une sorte d’immense et large tour truffée d’ascenseurs et de raccourcis, à un tel point où le sanctuaire de lige-feu, sorte de hub central du monde, mène à 6 zones différentes. Cela immerge et investit efficacement le joueur dans le monde, l’encourage à retenir ces passages, à prêter attention à l’architecture, de s’aventurer dans chaque recoin à la recherche de raccourcis ou de niveaux cachés, en plus des trésors traditionnels au genre. Certains des plus grands moments du jeu sont dus à ce world design.

Un autre effet intéressant de ce world design est la cohérence du monde, puisque tout est imbriqué, il semble plus réel, plus crédible, on peut vraiment s’imaginer que c’est le royaume en décrépitude qu’on nous expose dans l’introduction. Le fait de pouvoir voir d’autres niveaux depuis un autre renforce encore cette impression de cohérence, si l’on voit une architecture au loin, il y a de très grandes chances qu’on la parcourt plus tard dans le jeu, ou que ce soit déjà fait.

Le jeu est austère et peu bavard mais il ne vous cache pas tout non plus, ce qui permet de finir l’aventure vous est exposé ouvertement via un dialogue ou une courte cinématique, ou plus subtilement en vous confrontant à des ennemis bien trop forts pour vous, vous signifiant que ce n’est probablement pas le bon chemin, bref, il vous pointe dans la bonne direction, à vous de faire le reste, en somme. Ou alors, dans certains cas comme celui d’André, forgeron (donc PNJ absolument essentiel), les développeurs l’ont placé dans un endroit tellement évident et important qu’il est impossible de le manquer : il se trouve dans un croisement entre deux niveaux, un étage en dessous d’un feu de camp et laisse entendre le bruit de son marteau. D’autres forgerons forgeant des armes plus spécifiques à certains builds existent mais ils sont hors des sentiers battus.

Bien évidemment, le jeu n’est pas parfait, car si la plupart du temps il n’est ni injuste ni gratuit, on peut constater certaines fautes dans le level design, lorsqu’il place le joueur dans une situation désavantageuse sans réelle opportunité pour riposter sans être au courant de ce qui suit au préalable, une qualité plutôt propre au genre du Trial & Error et donc peu approprié à Dark Souls : celui-ci mise sur les compétences du joueur et pour obtenir cela il faut qu’une éventuelle mort du joueur soit de sa faute, non celle des designers qui auraient placé un challenge trop imprévisible. Le tristement célèbre Démon Capra en est largement fautif de ce point de vue, et semble être un doigt d’honneur des développeurs.

Démon Capra

Ce n’est pas la seule faiblesse du jeu, en effet ce qui rebute le plus est l’immense baisse en qualité lorsque l’on atteint la seconde moitié du jeu, et que l’on obtient le calice royal permettant de voyager entre la plupart des feux de camp, ce qui n’est pas une faute en soi : à mesure que l’on découvre le monde l’espace à parcourir entre chaque extrémités de la map s’agrandit, de ce fait les voyages deviendraient pénibles et agaçants. En revanche le jeu, qui se divise alors en quatre chemins indépendants, est en proie à une baisse de qualité assez déroutante dans le level design des zones, possiblement due à des contraintes liées au temps. Même si j’aurais du mal à les qualifier de mauvais, ces niveaux ont recours pour la plupart à des gimmicks assez mal implémentées, l’exemple le plus parlant étant Izalith la Perdue : sorte de plaine presque vide d’architecture remplie d’ennemis qui semblent avoir étés créés à la hâte et de lave sur laquelle il faut se déplacer en portant un anneau, puis le déséquiper, pour la seconde portion du niveau toute aussi linéaire et vide pour enfin finir sur un des pires boss de la franchise : le Foyer du Chaos, qui se base purement sur la chance.

Le Foyer du Chaos

Il va sans dire que le constat est assez négatif pour cette deuxième moitié, malgré quelque passages intéressants faisant bon usage de mécaniques uniques tel que le Tombeau des Géants pour son absence de lumière rendant l’utilisation du bouclier impossible, puisqu’il faut tenir une lanterne pour progresser dans le noir, ce qui est un facteur de tension non négligeable, en plus d’ennemis extrêmement agressifs et de nombreux trous menant à d’autres parties du niveau. Je ne souhaite pas trop m’étendre cependant sur ce sujet, car Dark Souls se base énormément sur la découverte, sur l’inconnu, vous comprendrez donc aisément ma décision.

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